Abbe J-S

Abbe J-S

samedi 12 janvier 2019

Méditation sur la paternité


13 janvier 2019, baptême du Seigneur


« Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie », cette parole du Père qui se faisait entendre au bord du Jourdain a révélé en effet le sens profond de notre baptême : ce sacrement nous fait entrer dans la filiation divine, nous sommes désormais reconnus comme enfants de Dieu, l’objet de son amour paternel. Ainsi, dès ici-bas, nous sommes participants à la vie de Dieu.

Si le cœur du message chrétien reste immuable depuis l’aube de l’histoire chrétienne, le contexte de sa diffusion et sa réception change cependant à chaque époque. Aujourd’hui, en effet, qu’est-ce que cela signifie : « Dieu est notre Père » ? Plus grand-chose. Pas plus que « le Seigneur est notre Roi ». Si politiquement nous avons tué le roi il y a un peu plus de deux siècles, philosophiquement et culturellement, nous avons aussi tué le « père », depuis une soixantaine d’années.

On a tué le père, d’abord en tant que la figure de l’autorité : il était le méchant faiseur et le détestable défenseur des interdits, celui qui incarne toute sorte d’oppressions. En criant : « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », et « il est interdit d’interdire », on a brisé la paternité traditionnelle, qui était le socle même d’un certain ordre de la société, dont certains d’entre nous gardent encore quelques souvenirs plus ou moins heureux. Depuis alors, les pères de ce monde peinent pour trouver un rôle nouveau, un peu plus complaisant et surtout moins austère. Ils essaient de partager le rôle de la mère, souvent maladroitement. Enfin, il arrive le jour où certaines personnes se mettent à penser et à dire que la paternité n’est pas absolument nécessaire, elle n’est pas incontournable dans la venue ni dans l’existence même de l’enfant, on pourra tout à fait en passer. Si à l’heure actuelle la technique ne permet pas encore l’exclusion totale et définitive du père dans la conception d’un enfant, on peut néanmoins déjà réduire le père à l’anonymat. C’est-à-dire, on peut faire venir un enfant au monde dont le père est sans visage ni identité.

Je ne peux pas me permettre de continuer à développer ce sujet, sinon j’aborderais ma vision personnelle sur certains projets de lois ou choix politiques qui sont dans l’air du temps, et ce sera une utilisation abusive de cette place que j’occupe. Je suis là pour vous parler de la foi de l’Église, je suis là pour vous parler de Dieu : ce Dieu qui se révèle à nous et qui est présent dans notre existence. Cependant notre foi ne peut pas être déconnectée de ce monde dans lequel nous vivons, notre relation avec Dieu ne peut pas être hors sol : nous devrions pouvoir la vivre pleinement dans le contexte actuel avec toutes ses difficultés et ses complexités et l’articuler avec le langage de notre temps. Il est donc nécessaire pour nous de concevoir ce fait que Dieu se révèle à nous en tant que Père, dans un monde où pour beaucoup le réalité du père est déjà devenue marginale, voire négligeable.

Si Dieu continue à se révéler à nous comme Père – notre Père, c’est parce qu’Il a préféré et choisi la fragilité. Il est une fragilité intrinsèque de la paternité : elle ne serait vraiment légitime qu’avec le consentement de l’enfant. Un homme n’est vraiment père que lorsqu’il est reconnu comme tel par l’enfant qu’il considère comme sien. Personne ne peut auto-proclamer « père », puisque ce mot est réserver à la bouche de l’enfant. La plupart d’entre nous n’ont pas choisi d’être baptisés. Si vraiment par le baptême nous sommes reconnus comme enfants de Dieu, cette reconnaissance attend de nous un consentement libre et convaincu pour être authentique. C’est à nous de consentir à cette paternité de Dieu qui se révèle et se donne à nous. Et tout au long de notre vie, nous avons à renouveler sans cesse ce consentement, c’est ainsi que nous cultivons et entretenons la relation qui nous lie à Dieu, une relation filiation, qui imprègne progressivement notre être et devient finalement le noyau même de notre identité. Qui est Dieu pour nous ? Nous ne pouvons parvenir à la réponse de cette question qu’en avouant d’abord ce que nous voulons être pour Dieu. Un père peut être parfaitement attaché à son être de père, mais cette paternité est complètement inatteignable pour son enfant qui a décidé délibérément de le renier ou le délaisser. Nous savons comment le fils prodigue, ayant abandonné son père, est devenu esclave, et pour retrouver son père, il doit d’abord revenir à lui-même, consentir à nouveau son identité de fils. Le premier mot qu’il prononcera en voyant celui qu’il a délaissé est bien le mot « père », bien qu’il considère dans son cœur qu’il n’est plus digne d’être appelé « fils ».

Oui, le baptême est un don de Dieu : Dieu nous fait don de la filiation, mais cette filiation ne se réalise qu’avec notre consentement, notre consentement libre et résolu, fidèle jusqu’au bout de notre existence.

Mais qu’est-ce que ce consentement signifie pour nous ? Comme pour un enfant, la présence et la participation du père dans sa propre création est et restera un mystère, consentir à la paternité de Dieu, accueillir en nous cette inconcevable filiation, c’est accepter la partie mystérieuse de nous-mêmes, c’est reconnaître en nous une origine divine qui nous lie à l’insondable. Nous ne sommes pas seulement des êtres de chimie, nous ne sommes pas purement biologiques. Il y a d’autres choses en nous.

Oui, la liturgie nous invite aujourd’hui à faire la mémoire du baptême de Jésus. Mais cette mémoire n’a de sens pour nous que si nous prenons au sérieux notre propre baptême. Baptisés et enfants de Dieu, qu’avons-nous fait de notre baptême ?




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire