13 janvier 2019, baptême
du Seigneur
« Toi, tu es mon
Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie », cette parole du Père qui se
faisait entendre au bord du Jourdain a révélé en effet le sens profond de notre
baptême : ce sacrement nous fait entrer dans la filiation divine, nous
sommes désormais reconnus comme enfants de Dieu, l’objet de son amour paternel.
Ainsi, dès ici-bas, nous sommes participants à la vie de Dieu.
Si le cœur du message
chrétien reste immuable depuis l’aube de l’histoire chrétienne, le contexte de
sa diffusion et sa réception change cependant à chaque époque. Aujourd’hui, en
effet, qu’est-ce que cela signifie : « Dieu est notre
Père » ? Plus grand-chose. Pas plus que « le Seigneur est notre
Roi ». Si politiquement nous avons tué le roi il y a un peu plus de deux
siècles, philosophiquement et culturellement, nous avons aussi tué le
« père », depuis une soixantaine d’années.
On a tué le père, d’abord
en tant que la figure de l’autorité : il était le méchant faiseur et le détestable défenseur des interdits, celui qui incarne toute sorte d’oppressions. En criant :
« Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », et « il est
interdit d’interdire », on a brisé la paternité traditionnelle, qui était
le socle même d’un certain ordre de la société, dont certains d’entre nous gardent
encore quelques souvenirs plus ou moins heureux. Depuis alors, les pères de ce
monde peinent pour trouver un rôle nouveau, un peu plus complaisant et surtout
moins austère. Ils essaient de partager le rôle de la mère, souvent maladroitement.
Enfin, il arrive le jour où certaines personnes se mettent à penser et à dire
que la paternité n’est pas absolument nécessaire, elle n’est pas incontournable
dans la venue ni dans l’existence même de l’enfant, on pourra tout à fait en
passer. Si à l’heure actuelle la technique ne permet pas encore l’exclusion
totale et définitive du père dans la conception d’un enfant, on peut néanmoins
déjà réduire le père à l’anonymat. C’est-à-dire, on peut faire venir un enfant
au monde dont le père est sans visage ni identité.
Je ne peux pas me
permettre de continuer à développer ce sujet, sinon j’aborderais ma vision
personnelle sur certains projets de lois ou choix politiques qui sont dans
l’air du temps, et ce sera une utilisation abusive de cette place que j’occupe.
Je suis là pour vous parler de la foi de l’Église, je suis là pour vous parler
de Dieu : ce Dieu qui se révèle à nous et qui est présent dans notre existence.
Cependant notre foi ne peut pas être déconnectée de ce monde dans lequel nous
vivons, notre relation avec Dieu ne peut pas être hors sol : nous devrions
pouvoir la vivre pleinement dans le contexte actuel avec toutes ses difficultés
et ses complexités et l’articuler avec le langage de notre temps. Il est donc nécessaire
pour nous de concevoir ce fait que Dieu se révèle à nous en tant que Père, dans
un monde où pour beaucoup le réalité du père est déjà devenue marginale, voire négligeable.
Si Dieu continue à se
révéler à nous comme Père – notre Père, c’est parce qu’Il a préféré et choisi la
fragilité. Il est une fragilité intrinsèque de la paternité : elle ne
serait vraiment légitime qu’avec le consentement de l’enfant. Un homme n’est
vraiment père que lorsqu’il est reconnu comme tel par l’enfant qu’il considère
comme sien. Personne ne peut auto-proclamer « père », puisque ce mot
est réserver à la bouche de l’enfant. La plupart d’entre nous n’ont pas choisi d’être
baptisés. Si vraiment par le baptême nous sommes reconnus comme enfants de
Dieu, cette reconnaissance attend de nous un consentement libre et convaincu pour
être authentique. C’est à nous de consentir à cette paternité de Dieu qui se
révèle et se donne à nous. Et tout au long de notre vie, nous avons à
renouveler sans cesse ce consentement, c’est ainsi que nous cultivons et entretenons
la relation qui nous lie à Dieu, une relation filiation, qui imprègne progressivement
notre être et devient finalement le noyau même de notre identité. Qui est Dieu pour
nous ? Nous ne pouvons parvenir à la réponse de cette question qu’en
avouant d’abord ce que nous voulons être pour Dieu. Un père peut être
parfaitement attaché à son être de père, mais cette paternité est complètement
inatteignable pour son enfant qui a décidé délibérément de le renier ou le
délaisser. Nous savons comment le fils prodigue, ayant abandonné son père, est
devenu esclave, et pour retrouver son père, il doit d’abord revenir à lui-même,
consentir à nouveau son identité de fils. Le premier mot qu’il prononcera en
voyant celui qu’il a délaissé est bien le mot « père », bien qu’il
considère dans son cœur qu’il n’est plus digne d’être appelé
« fils ».
Oui, le baptême est un
don de Dieu : Dieu nous fait don de la filiation, mais cette filiation ne
se réalise qu’avec notre consentement, notre consentement libre et résolu, fidèle
jusqu’au bout de notre existence.
Mais qu’est-ce que ce
consentement signifie pour nous ? Comme pour un enfant, la présence et la participation
du père dans sa propre création est et restera un mystère, consentir à la
paternité de Dieu, accueillir en nous cette inconcevable filiation, c’est
accepter la partie mystérieuse de nous-mêmes, c’est reconnaître en nous une
origine divine qui nous lie à l’insondable. Nous ne sommes pas seulement des
êtres de chimie, nous ne sommes pas purement biologiques. Il y a d’autres
choses en nous.
Oui, la liturgie nous
invite aujourd’hui à faire la mémoire du baptême de Jésus. Mais cette mémoire
n’a de sens pour nous que si nous prenons au sérieux notre propre baptême. Baptisés
et enfants de Dieu, qu’avons-nous fait de notre baptême ?
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