Abbe J-S

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samedi 6 octobre 2018

Cœur de pierre...


Homélie du 7 octobre 2018 – 27e dimanche B


L’Évangile que la liturgie nous propose aujourd’hui semble tellement loin du monde dans lequel nous vivons. Qu’est-ce que cet Évangile veut bien nous dire – il faut lutter contre le divorce ? Ou bien il faut condamner l’adultère ? En France, le divorce a été déclaré légal dès le 20 août 1792, sous la Terreur par l’assemblée législative, cette loi a été adoptée par l’assemblée nationale le 20 septembre de la même année, à l’aube de la première République. Toujours en France, mais un tournant beaucoup plus récent, l’adultère a été dépénalisé par la loi du 11 juillet 1975. D’une manière générale, nous nous taisons sur ces sujets. Puisque, pour une très grande partie de nos contemporains, la dissolution du mariage par le divorce est devenu un droit, et la dépénalisation de l’adultère s’accorde avec le respect pour la liberté des individus. Dans ce contexte, comment pouvons nous entendre un texte de l’Évangile avec des positions aussi tranchantes que radicales ?

Cependant, le saint Évangile n’est pour nous ni le code civil, ni la code pénal, ni même un manuel de théologie morale. L’Évangile est la Parole de Dieu, et cette Parole nous révèle qui est Dieu, notre Créateur et notre Sauveur – et, en Le révélant, elle nous dit qui nous sommes, nous, en toute vérité. Par cette double révélation, le Christ Jésus nous conduit vers une rencontre personnelle avec Dieu. Aucun baptisé ne peut faire économie d’une telle rencontre. C’est pourquoi nous ne pouvons pas recevoir la Parole de Dieu avec nos mesures à nous, nous devrons plutôt la recevoir telle qu’elle est, une Parole vivante et vivifiante, et la laisser parler en nous.

Aujourd’hui, je voudrais que nous nous arrêtions sur une expression particulière de cette Évangile – « la dureté du cœur ». Dans l’Évangile, Jésus dit aux pharisiens – Si Moïse vous avait permis de renvoyer vos femmes, c’était à cause de la dureté de votre cœur. Qu’est-ce que cela veut dire : un cœur endurci ?

D’abord, le cœur. Pour les Sémites de l’antiquité, le cœur est l’organe central et mystérieux de la vie, il est le siège des affections – non seulement de l’amour, mais aussi du désir, de la joie, du regret, de la tristesse, de la colère, du courage, de la confiance, mais il également le siège de la mémoire, de l’imagination, de l’intelligence. Le cœur est donc l’intériorité profonde d’une personne – c’est en touchant le cœur de la personne qu’on la touche vraiment. Selon cette définition du cœur, nous pouvons dire qu’un cœur endurci est un cœur privé d’affections, un cœur qui s’enferme, un cœur devenu froid et insensible.

Mais dans le langage biblique, l’expression de « la dureté du cœur » a encore un sens plus précis. Jésus a été éduqué dans la foi juive et imprégné de sa culture, il connaît parfaitement la Torah et les textes prophétiques, et il prie quotidiennement avec les mots des psaumes. Lorsqu’il prononçait : « la dureté de votre cœur », il faisait très probablement allusion à ces versets du Psaume 94 : « Aujourd’hui, si vous écoutez ma voix, n’endurcissez pas votre cœur comme à Meribah, comme au jour de Massah dans le désert, où m’ont tenté vos pères, où ils m’ont éprouvé, bien qu’ils aient vu mon œuvre ! » (Ps 94,8-9) En effet, pour le Psalmiste, un cœur endurci est surtout un cœur qui s’est détourné de Dieu, un cœur aveuglé et assourdi devant la présence et les actions de Dieu, un cœur hostile qui va jusqu’à rejeter et défier Dieu. Cette expression a été reprise plusieurs fois dans le Nouveau Testament. Par exemple, à propos des païens qui se laissaient guider par le néant de leur pensée, l’Apôtre Paul écrit dans son Épître aux Ephesians : « Ils ont l’intelligence remplie de ténèbres, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux, à cause de l’endurcissement de leur cœur » (Ep 4,18). Sur la même ligne que le Psalmiste, pour Paul, le cœur endurci est un cœur s’obscurcit, s’enferme dans l’ignorance et refuse la lumière de la foi.

La dureté du cœur est donc une image de l’attitude ingrate et obstinée des peuples qui refusent Dieu. Mais pourquoi cette attitude a aussi pour conséquence la rupture du mariage ? Nous savons que le mariage a été établi et béni par le Créateur dès la création de l’homme. Dieu créa l’humanité à son image et selon sa ressemblance. L’union entre l’homme et la femme trouve en effet sa source et sa racine dans la communion intime entre Dieu et sa créature. Dès lors que cette communion se trouve dénaturée, l’union entre l’homme et la femme se coupe de la bénédiction divine, leur amour ne sera plus alimenté par la grâce du Créateur. Mais par la pure volonté humaine, empoisonnée par la convoitise et la jalousie, l’amour devient une chose fragile et éphémère, il tend alors vers la rupture.
Mais pourquoi cet endurcissement du cœur ? Dans son Traité « de la Considération », saint Bernard s’adressa au Pape Eugène III, anciennement son disciple, en disant que les occupations excessivement nombreuses et très souvent mondaines le conduiront vers « l’endurcissement du cœur ». Il dit qu’un cœur endurci est « un cœur qui ne peut plus être ni déchiré par le remords, ni attendri par la piété, ni troublé par les prières, (…). C’est un cœur que les bienfaits laissent ingrat, qui est perfide dans ses avis, impitoyable dans ses jugements, imprudent dans l’infamie, inaccessible à la crainte, inhumain dans les choses humaines, téméraire dans les (choses) divines, oublieux du passé, plein de négligence pour le présent, et d’imprévoyance pour l’avenir. (…) (En somme), un cœur endurci est également incapable de craindre Dieu et de respecter les hommes ».

Ces mots, saint Bernard les a écrit pour le Pape de l’époque, mais nous tous, nous pouvons y tirer quelques leçons. Si ce sont les occupations mondaines et excessives qui endurcissent nos cœurs, qui nous rendent ingrats et même nous déshumanisent, il est peut-être utile pour nous d’examiner en profondeur toutes nos occupations, même nos préoccupations et les discerner à la lumière de la foi.

Et finalement, c’est Dieu qui nous permet de devenir vraiment nous-mêmes – souvenons-nous de cette Parole du Prophète Ezekiel : « J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36,26).

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