Homélie
du 7 octobre 2018 – 27e
dimanche B
L’Évangile
que la liturgie nous propose aujourd’hui semble tellement loin du
monde dans lequel nous vivons. Qu’est-ce que cet Évangile veut
bien nous dire – il faut lutter contre le divorce ? Ou bien il
faut condamner l’adultère ? En France, le divorce a été
déclaré légal dès le 20 août 1792, sous la Terreur par
l’assemblée législative, cette loi a été adoptée par
l’assemblée nationale le 20 septembre de la même année, à
l’aube de la première République. Toujours en France, mais un
tournant beaucoup plus récent, l’adultère a été dépénalisé
par la loi du 11 juillet 1975. D’une manière générale, nous nous
taisons sur ces sujets. Puisque, pour une très grande partie de nos
contemporains, la dissolution du mariage par le divorce est devenu un
droit, et la dépénalisation de l’adultère s’accorde avec le
respect pour la liberté des individus. Dans ce contexte, comment
pouvons nous entendre un texte de l’Évangile avec des positions
aussi tranchantes que radicales ?
Cependant,
le saint Évangile n’est pour nous ni le code civil, ni la code
pénal, ni même un manuel de théologie morale. L’Évangile est la
Parole de Dieu, et cette Parole nous révèle qui est Dieu, notre
Créateur et notre Sauveur – et, en Le révélant, elle nous dit
qui nous sommes, nous, en toute vérité. Par cette double
révélation, le Christ Jésus nous conduit vers une rencontre
personnelle avec Dieu. Aucun baptisé ne peut faire économie d’une
telle rencontre. C’est pourquoi nous ne pouvons pas recevoir la
Parole de Dieu avec nos mesures à nous, nous devrons plutôt la
recevoir telle qu’elle est, une Parole vivante et vivifiante, et la
laisser parler en nous.
Aujourd’hui,
je voudrais que nous nous arrêtions sur une expression particulière
de cette Évangile – « la dureté du cœur ». Dans
l’Évangile, Jésus dit aux pharisiens – Si Moïse vous avait
permis de renvoyer vos femmes, c’était à cause de la dureté de
votre cœur. Qu’est-ce que cela veut dire : un cœur endurci ?
D’abord,
le cœur. Pour les Sémites de l’antiquité, le cœur est l’organe
central et mystérieux de la vie, il est le siège des affections –
non seulement de l’amour, mais aussi du désir, de la joie, du
regret, de la tristesse, de la colère, du courage, de la confiance,
mais il également le siège de la mémoire, de l’imagination, de
l’intelligence. Le cœur est donc l’intériorité profonde d’une
personne – c’est en touchant le cœur de la personne qu’on la
touche vraiment. Selon cette définition du cœur, nous pouvons dire
qu’un cœur endurci est un cœur privé d’affections, un cœur
qui s’enferme, un cœur devenu froid et insensible.
Mais
dans le langage biblique, l’expression de « la dureté du
cœur » a encore un sens plus précis. Jésus a été éduqué
dans la foi juive et imprégné de sa culture, il connaît
parfaitement la Torah et les textes prophétiques, et il prie
quotidiennement avec les mots des psaumes. Lorsqu’il prononçait :
« la dureté de votre cœur », il faisait très
probablement allusion à ces versets du Psaume 94 :
« Aujourd’hui, si vous écoutez ma voix, n’endurcissez pas
votre cœur comme à Meribah, comme au jour de Massah dans le désert,
où m’ont tenté vos pères, où ils m’ont éprouvé, bien qu’ils
aient vu mon œuvre ! » (Ps 94,8-9) En effet, pour le
Psalmiste, un cœur endurci est surtout un cœur qui s’est détourné
de Dieu, un cœur aveuglé et assourdi devant la présence et les
actions de Dieu, un cœur hostile qui va jusqu’à rejeter et défier
Dieu. Cette expression a été reprise plusieurs fois dans le Nouveau
Testament. Par exemple, à propos des païens qui se laissaient
guider par le néant de leur pensée, l’Apôtre Paul écrit dans
son Épître aux Ephesians : « Ils ont l’intelligence
remplie de ténèbres, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à
cause de l’ignorance qui est en eux, à cause de l’endurcissement
de leur cœur » (Ep 4,18). Sur la même ligne que le Psalmiste,
pour Paul, le cœur endurci est un cœur s’obscurcit, s’enferme
dans l’ignorance et refuse la lumière de la foi.
La
dureté du cœur est donc une image de l’attitude ingrate et
obstinée des peuples qui refusent Dieu. Mais pourquoi cette attitude
a aussi pour conséquence la rupture du mariage ? Nous savons
que le mariage a été établi et béni par le Créateur dès la
création de l’homme. Dieu créa l’humanité à son image et
selon sa ressemblance. L’union entre l’homme et la femme trouve
en effet sa source et sa racine dans la communion intime entre Dieu
et sa créature. Dès lors que cette communion se trouve dénaturée,
l’union entre l’homme et la femme se coupe de la bénédiction
divine, leur amour ne sera plus alimenté par la grâce du Créateur.
Mais par la pure volonté humaine, empoisonnée par la convoitise et
la jalousie, l’amour devient une chose fragile et éphémère, il
tend alors vers la rupture.
Mais
pourquoi cet endurcissement du cœur ? Dans son Traité « de
la Considération », saint Bernard s’adressa au Pape Eugène
III, anciennement son disciple, en disant que les occupations
excessivement nombreuses et très souvent mondaines le conduiront
vers « l’endurcissement du cœur ». Il dit qu’un cœur
endurci est « un cœur qui ne peut plus être ni déchiré par
le remords, ni attendri par la piété, ni troublé par les
prières, (…). C’est un cœur que les bienfaits laissent
ingrat, qui est perfide dans ses avis, impitoyable dans ses
jugements, imprudent dans l’infamie, inaccessible à la crainte,
inhumain dans les choses humaines, téméraire dans les (choses)
divines, oublieux du passé, plein de négligence pour le présent,
et d’imprévoyance pour l’avenir. (…) (En somme), un cœur
endurci est également incapable de craindre Dieu et de respecter les
hommes ».
Ces
mots, saint Bernard les a écrit pour le Pape de l’époque, mais
nous tous, nous pouvons y tirer quelques leçons. Si ce sont les
occupations mondaines et excessives qui endurcissent nos cœurs, qui
nous rendent ingrats et même nous déshumanisent, il est peut-être
utile pour nous d’examiner en profondeur toutes nos occupations,
même nos préoccupations et les discerner à la lumière de la foi.
Et
finalement, c’est Dieu qui nous permet de devenir vraiment
nous-mêmes – souvenons-nous de cette Parole du Prophète Ezekiel :
« J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous
donnerai un cœur de chair » (Ez 36,26).
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