Homélie du
23e dimanche du Temps ordinaire – 9 septembre 2018
« Effatà », c’est-à-dire
: « Ouvre-toi ». En prononçant ce mot, la voix du Christ Jésus nous révèle que
la guérison de cet homme miséreux, sourd et muet, se manifeste dans l’ouverture
de ses sens. C’est une double ouverture. D’abord, l’ouverture de son ouïe – ses
oreilles peuvent entendre maintenant la parole des autres, et désormais on peut
s’adresser à lui ; puis, l’ouverture de sa bouche – il peut, lui aussi,
dorénavant faire entendre aux autres la voix de son cœur. Par cette double
ouverture, son monde intérieur s’unit au monde extérieur ; ainsi cet homme,
jadis considéré comme maudit, isolé, exclut, voire ignoré de tous, est
réintégré dans la société des hommes. Cette guérison est donc bien plus qu’une
guérison physique. En effet, c’est la dignité de cet homme qui a été restaurée
et rétablie par le Christ Jésus.
La plupart d’entre nous,
jouissons jusqu’à présent sans grande peine de notre ouïe et de notre voix, et
nous ne mesurons jamais assez combien sont essentiels ces deux sens pour
l’aisance de notre existence. Ils sont dons de Dieu, ils nous sont précieux.
Cependant, nous pouvons
faire un examen de conscience en interrogeant nous-mêmes. Aujourd’hui, dans
notre société, est-ce que tout ce que j’entends, et tout ce que je fais
entendre, honorent ces dons de Dieu – c’est-à-dire : mon ouïe et ma voix ?
D’abord, qu’est-ce que
l’on entend au quotidien ? On entend les actualités, les informations – On a
tellement peur d’être déconnecté, d’être mis à part, alors consciemment ou
inconsciemment on cherche à s’informer tout le temps et sur tout. Notre vie
actuelle est saturée d’informations. La plupart des informations noircissent
notre regard sur le monde, sur notre temps, et parfois sur nous-mêmes. Et le
discours souvent – et très curieusement – unanime des médias sur certains
sujets ou sur certains personnages nous introduit dans une invisible dictature de pensée unique : à la suite
de certains journalistes très bruyants et malintentionnés et certains experts
ou spécialistes auto-déclarés, on met facilement les étiquettes sur tel ou tel
personnage public, on condamne sans hésitation tel ou tel type de propos. On ne
réfléchit plus du tout, on anesthésie docilement et honteusement notre capacité
de raisonnement et de discernement.
Et puis, on entend aussi
les publicités, beaucoup de publicités qui reviennent en boucle. Les publicités
nous dessinent une vie rêvée, idéale et parfaite. Les publicités nous dictent
ce qu’on doit manger, comment on doit s’habiller, comment on doit organiser
notre vie professionnelle, scolaire, familiale et même les vacances, les
déplacements – par-dessus tout cela, les publicités nous disent avec une
incroyable certitude ce qu’est le vrai bonheur de notre vie – un bonheur orné
par la dernière génération de iPhone, le nouveau style de voiture sportive, et
une nouvelle maison complètement parfaitement robotisée. Oui, on entend les
publicités qui se répètent jour et nuit, et ainsi, on se soumet à une autre dictature – celle de la
consommation.
On entend encore des
ragots, les petites histoires pas très glorieuses sur l’un ou sur l’autre. On
fait quand même un peu d’efforts pour que notre complaisance ne paraisse pas trop
à l’extérieur, mais on sait bien à l’intérieur de nous-mêmes que entendre dire
du mal des autres nous fait plaisir, surtout quand notre propre vie est quelque
peu décevante. La troisième dictature,
celle de la médiocrité.
Et on entend partout du
bruit, beaucoup de bruits – ces bruits qui prétendent parfois être la musique
qui veulent nous distraire, ces bruits
sans lesquels on ne saurait plus vivre et on ne pourrait supporter le moindre
de silence – devant lequel on se sentirait nu. Mais dans ces bruits se sont glissées
les paroles haineuses, les railleries méchantes, les bêtises énormes, les
mensonges nuisibles, et puis beaucoup beaucoup de cynisme. Noyé dans cet océan
de bruit, on se distrait, on s’habitue, on s’avilit, on se laisse transformer,
on se laisse asservir. La dictature du
bruit.
Le monde est une histoire
racontée par un fou, plein de bruit et de fureur – ces mots que Shakespeare a
mis dans la bouche du roi Macbeth pourraient nous faire rougir aujourd’hui.
Cette histoire de fou, nous en faisons partie. En effet, qu’est-ce nous faisons
entendre aux autres à notre tour ?
Hélas, dans la plupart des cas, nous répétons ce que nous avons entendu
– les préjugés, les mensonges, les railleries, les bêtises, les grossièretés,
les ragots. On a peur d’être différent des autres. On a peur de penser différemment,
de parler différemment. On a même peur de ne pas rire des bêtises qui font rire
les autres. On n’a plus de liberté. On est soumis. Dans une usine qui ne
produit que du bruit, machinalement nous faisons du bruit avec les autres. Dans
ce régime de dictature collective, nous devenons dictateurs avec les autres.
Nous n’honorons pas ces
sens qui nous sont donnés par le Créateur pour embellir notre vie – ceux que
nous entendons nous rendent sourds – puisqu’ils nous empêchent d’entendre les
paroles véritables, qui ont vraiment quelques choses à nous dire ; et ceux que
nous faisons entendre nous rendent muets – puisqu’ils ne viennent pas de notre
cœur. Il nous est peut-être nécessaire de nous tourner à présent vers le
Christ, comme le sourd-muet de l’Évangile, et de Lui demander de prononcer de
nouveau sur nous ce mot « Effata », ce mot qui nous rappelle aussi la grâce que
nous avons reçue de notre baptême – puisque nous savons qu’il existe cette
étape préparatoire dans le rite du baptême où le prêtre trace le signe de la
Croix sur l’oreille et la bouche de l’enfant en disant cette prière : « Effatà,
c’est-à-dire : ouvre-toi. Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et
parler les muets : qu’il te donne d’écouter sa parole, et de proclamer la foi
pour la louange et la gloire de Dieu le Père. »
Oui, que Dieu ouvre notre
ouïe avec sa Parole de vie, et qu’il mette dans notre bouche la foi, son
Évangile et la louange de sa gloire. Amen.
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