Abbe J-S

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lundi 21 janvier 2019

Eau, vin et sang - méditation du 20 janvier 2019



Méditation du 20 janvier 2019 sur les Noces de Cana

En janvier 1912, en marge de sa grande composition des « Élégies à Duino », le poète Reiner Maria Rilke a écrit en une semaine un ensemble de petits poèmes intitulé « La vie de Marie », dont le 9e est consacré à la scène des Noces de Cana. Sous la plume du poète, Marie, absorbée par la joie festive des noces, n’était pas vraiment consciente de la signification mystérieuse de la demande qu’elle avait faite à son Fils. Ce n’est que plus tard qu’elle comprendra que, c’était en effet à sa demande que son Fils s’est précipité vers le chemin de la Passion. Dès lors, à Cana, Jésus est « condamné au sacrifice », le sacrifice de l’Alliance nouvelle – bien qu’il était venu pour cela, et c’était, à l’origine, la volonté de son Père. Ce poème se termine ces mots sombres et graves : Marie ne vit pas que l’eau des glandes lacrymales de son Fils était, avec ce vin, devenue sang.

Dans le poème de Rilke, les noces de Cana constituaient en réalité une préfiguration de la Cène du Jeudi Saint, la Cène par laquelle Dieu a établi, avec son peuple, l’Alliance éternelle, scellée par le sang de son Fils. Les noces de Cana est donc un moment décisif dans la vie de Jésus, chacune de ces paroles, chacun de ces détails est chargé de solennité et symbolisme, en particulier, le bref dialogue entre Jésus et sa Mère.

« Ils n’ont pas de vin », dit Marie à son Fils. Mais Mère, tu me demandes du vin, le vin miraculeux qui permettra que cette fête perdure ; mais sais-tu que la fête véritable ne se célèbre pas ici et maintenant ? Sais-tu que le vin véritable n’est pas ce vin dont le délice est aussi éphémère que celui d’un songe ? Et connais-tu quel est le vin que mon cœur désire ? Le vin que mon cœur désire, c’est le vin à couleur de sang, dans lequel, le fils de Jacob lavera son vêtement et son manteau (Gn, 49,11) ; le vin que mon cœur désire, c’est le vin savoureux, annoncé par le Prophète Amos, qui coulera sur les montagnes et les collines et qui abreuvera et rassasiera mon peuple épuisé et assoiffé (Amos 9,13-14) ; le vin que mon cœur désire, c’est vin nouveau, avec lequel le Fils de l’homme victorieux s’enivrera dans la gloire de son Royaume (Mc 14,25). Mais à présent, l’heure n’est pas encore venue, puisque ma vigne est encore jeune – il faut que j’avance sur ma route et que j’appelle les ouvriers, et ils viendront travailler dans ma vigne. Mais le ravissement céleste du vin nouveau est réservé à la fin des temps.

Oui, Mère, tu me regardes avec insistance. Mais Femme bénie et pleine de grâce, que me veux-tu à présent ?  « Mon heure n’est pas encore venue », mais elle se prépare. Et l’heure viendra, et toi aussi, tu auras ta part dans ma coupe : lorsque tu me suivras jusqu’au pied de la Croix, lorsque tu me regarderas, debout, avec ton cœur aussi transpercé comme le mien, alors, tu sauras ce que je vois aujourd’hui dans ces jarres ; et toi, tu ne seras plus seulement la Mère de Jésus de Nazareth : je te confierai mon disciple bien-aimé, et par lui, tu seras la Mère de tous mes disciples présents et futurs, tu seras la Mère de tous les fils et les filles de mon Père, et tu seras vraiment, comme le nom que l’on te donnera : la nouvelle Ève – la Mère de tous les vivants. Mais à présent, ouvre ton cœur humble et immaculé et accueille ce mystère qui te semble encore trop obscur – et y prends déjà ta part. Et ce que tu m’as demandé, il te sera accordé.

C’est alors que la Mère se tourna vers les serviteurs du festin et elle leur dit : faites tout ce qu’il vous dira.

Faites tout ce qu’il vous dira : c’est la Parole de la Mère qui nous indique son Fils, notre Frère aîné, c’est la Parole de notre Mère qui nous conduit vers le Maître, notre vie et notre salut – et par cette parole elle nous ouvre, à nous aussi, ce festin royal et nous invite à y prendre chacun sa place.

Frères et sœurs, le festin se prépare, il se prépare pour nous, et il se réalise déjà dans le mystère de l’Eucharistie. Dans quelques instants nous allons nous avancer vers Lui, vers ce Dieu qui nous convie et qui vient nous accueillir : alors comme ces serviteurs qui Lui présentaient ces jarres remplis d’eau, livrons lui nous aussi, tout ce qu’il y a dans nos cœurs, même les quelques amertumes, les inquiétudes et les angoisses de nos quotidiens, Il les recueillera tous, et il les changera en délice.


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