Lorsque
j'ai reçu la sollicitation d'officier ce matin pour les obsèques de
Lucile, il m'est venu ces quelques vers du Mystère
des saints Innocents
de Charles Péguy :
« ce
que mon Fils a dit une fois, sinite
parvulos venire ad me – laissez
les petits venir à moi –
je
le redis, on me le fait redire toutes les fois (quel engagement !)
« Et
mon Fils l’avait dit de quelques enfants qui jouaient et qui,
aussitôt bénis, le quittèrent pour retourner jouer.
« Mais
moi je le dis, on me le fait dire à chaque enfant qui ne retournera
plus jouer, sinon dans mon paradis.
« Or
cela (quel engagement !) je le redis à cet office des morts, à qui
tout vient aboutir, auquel tout s’achemine ».
Dans ces
mots que le poète a mis dans la bouche de Dieu le Père, nous
pouvons entendre un ton de regret, une certaine amertume ineffable :
il semble que c'est avec grande peine que Dieu appelle à Lui toutes
les petites âmes innocentes et ailées. N'avait-Il vraiment pas
d'autres choix que de nous imposer une telle séparation ? Mais
Il ne s'explique pas. La douleur n'a pas besoin d'explication. La
mort n'a pas besoin d'explication. Expliquer la mort, c'est donner
raison à la mort, mais la mort n'a jamais eu aucune raison.
Lucile, je
ne peux pas oublié ton petit visage de que, durant quelques
instants, j'ai pu fixer sans pouvoir prononcer un mot. C'était peu
après ton départ, et j'ai toujours devant moi tes yeux fermés, et
cette pâleur qui t'environne et semble dégager une petite lueur
argentée mais délicate. Avec crainte, j'ai demandé la permission
de toucher son front, et très doucement, j'y ai tracé un petit
signe de croix. Ai-je laissé sur toi une bénédiction ? Mais,
ne voudrais-je pas, moi, y rester et te contempler longuement,
jusqu'à ce que ta beauté angélique clarifie mon regard, et que ton
silence serein et exquis apaise et remplisse mon cœur ?
Lucile, ta
maman vient de te dire : de ta façon, tu auras marqué beaucoup
de gens. Elle a raison. Tu es cette petite lumière qui résistera
toute nuit et toutes ténèbres. Comment puisse s'éteindre cette
lumière ? Nous savons que si tu t'éloignes de nous, ce n'est
pas pour nous quitter et disparaître, mais aujourd'hui les anges
t'élèvent au-dessus de nous, et pour nous, tu te transformeras en
une étoile. Et, par tes rayons paradisiaques, tu nous révélera le
paysage qui se cache derrière les horizons de notre pauvre
existence.
Jadis,
lors des obsèques d'un tout petit, le prêtre disait toujours ce
verset de psaume : « Beati
immaculati in via, Heureux
les sans tache dans la voie ». Lucile, détachée de toute
souillure, tu nous dis ce qu'est l'innocence, et tu entres
aujourd'hui dans un bonheur auquel nous n'avons pas d'accès, et dont
nous n'avons aucune connaissance. Mais nous savons que tu nous
regardes, et que tu veilleras sur nous, et que depuis la Maison de
Dieu, tu nous enverra la fraîcheur du ciel, qui séchera nos larmes,
et allumera notre espérance.
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