Abbe J-S

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samedi 2 juin 2018

Pour la Solennité de la Fête-Dieu 3 juin 2018

Samuel Joseph Agnon, le premier écrivain de langue hébraïque ayant emporté le prix Nobel de la littérature, conta une jour cette histoire :

Quand le Baal Shem – un rabbin mystique de renom du 18ème siècle – avait une tâche très difficile devant lui, il allait à une certaine place dans les bois, allumait un feu et méditait en prière, et ce qu’il avait décidé d’accomplir fut fait. Quand, une génération plus tard, le « Maggide » de Meseritz se trouva en face de la même tâche, il alla à la même place dans les bois et dit : nous ne pouvons plus allumer le feu, mais nous pouvons encore dire les prières – et ce qu’il désirait devint la réalité. De nouveau une génération plus tard, Rabbi Moshe Leib de Sassov eut à accomplir cette même tâche. Et lui aussi alla dans les bois et dit : Nous ne pouvons plus allumer le feu et nous ne connaissons plus les méditations secrètes qui appartiennent à la prière, mais nous savons la place dans les bois où cela s’est passé, ce doit être suffisant ; et cela suffit. Mais quand une autre génération fut passée et que Rabbi Israël de Rishin, invité à accomplir la même tâche, s’assit sur son fauteuil doré dans son château, il dit : nous ne pouvons plus allumer le feu, nous ne pouvons plus dire les prières, nous ne savons plus la place mais nous pouvons raconter l’histoire de comment cela s’est fait. Et encore une fois cela suffit.

Cette légende nous fait entendre comment la foi est née d’une mémoire, dans la formation d’un récit. Le feu divin ne s’alluma plus, la parole devint mystérieuse et les lieux incertains, mais le récit les enveloppa et les redonna vie, et il se transmit de génération en génération ; un jour le récit prit la forme du texte, écrits et recopiés sur les parchemins ; et les parchemins s’allongèrent, devinrent des rouleaux, des livres saints. Ainsi apparurent les religions du livre.

Bien que beaucoup le pensent, mais le christianisme n’est pas une religion du livre. La foi chrétienne ne repose pas sur une mémoire, un récit ou un texte. Si à l’origine de cette foi se trouva une Parole, la Parole de Dieu – nous savons que cette Parole s’est faite chair, et elle a habité parmi nous. Et le mystère de l’incarnation est bien plus qu’une mémoire, une réalité historique qui n’appartient qu’à une certaine époque du passé – il se renouvelle et s’actualise chaque jour : là où la sainte Messe est célébrée, le Verbe qui s’est fait chair se fait pour nous Eucharistie ; et le même Christ se donne à nous aujourd’hui comme il s’est donné pour nous il y a deux mille ans sur la Croix. Notre religion est une religion du temps présent. Et notre foi n’est ni un concept abstrait de je ne sais quelle métaphysique, ni une nostalgie mystique qui nous lie à une réalité lointaine ; notre foi est incarnée, elle est charnelle, elle est actuelle. Et au cœur de cette foi, se trouve l’Eucharistie.

Qu’est-ce que l’Eucharistie ? L’Apôtre Paul affirme sans aucune ambiguïté dans sa première Épître aux Corinthiens : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? » (1Co 10,16). Quelques décennies plus tard, saint Ignace d’Antioche, disciples direct des Apôtres saint Pierre et saint Jean selon la Tradition, et martyrisé en 117, a écrit ceci dans sa lettre aux Smyrniotes : Qu’ils s’abstiennent de l’Eucharistie et de la prière, ceux qui « ne confessent pas que l’Eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, (chair) qui a souffert pour nos péchés et que dans sa bonté le Père a ressuscité » (VII,1). Il est certain que, bien avant les élaborations studieuses des théologiens médiévaux, le réalisme eucharistique est déjà bien ancré dans la foi des chrétiens dès la première génération. Dans le très saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, nous ne recevons rien de moins que le Christ Jésus, le Fils du Dieu vivant : dans ce sacrement, Il se donne à nous, afin que nous recevions en plénitude la tendresse et la miséricorde du Père. Pour le chrétien qui vit dans le monde, il n’y a sous le Ciel rien de plus grand, de plus divin, de plus noble que la très sainte Eucharistie – par l’Eucharistie, il entre réellement en communion avec Dieu, et en Dieu, il entre communion avec tous ceux qui ont reçu le don de la seule foi qui procure le salut éternel.

Avec une incomparable ardeur pure, saint François d’Assise, un des plus grands saint de l’histoire de la chrétienté, exhorta ainsi ses frères à l’adoration de la très sainte Eucharistie : « Que l'homme tout entier craigne, que le monde entier tremble, et que le ciel exulte quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est sur l'autel dans la main du prêtre ! Ô admirable profondeur et stupéfiante faveur ! Ô humilité sublime ! Ô humble sublimité ! Que le Seigneur de l'univers, Dieu et Fils de Dieu, s'humilie au point de se cacher pour notre salut sous une modique forme de pain ! Voyez, frères, l'humilité de Dieu et répandez vos cœurs devant Lui ; humiliez-vous, vous aussi, pour être exaltés par Lui. Ne retenez donc pour vous rien de vous(-même), afin que vous receviez tout entier celui qui se donne à vous tout entier. » (Epistola toti ordini, 26-29)

Celui qui se donne à nous tout entier, Celui qui s’humilie afin de pouvoir nous aimer, nous sauver, nous élever, nous donner la vie – Il est là, il est présent dans la très sainte Eucharistie, dans le Sacrement de son Amour. Notre Dieu nous est si proche.

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