Abbe J-S

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samedi 30 juin 2018

La main de Dieu, la main de l'homme


En lisant l’Evangile de ce dimanche, je suis particulièrement touché par les deux mouvements de main – la main peureuse de la femme hémorroïsse, qui tend timidement vers le vêtement de Jésus, sans vouloir être aperçue ; puis, la main douce mais déterminée de Jésus qui saisit celle de la jeune fille, déjà inanimée, en l’ordonnant de se lever. Qu’est-ce qui s’est produit réellement lors de ces gestes ? Je pense que, derrière ces deux événements qui s’ensuivent, il y a en effet la main de l’humanité souffrante qui tend vers son Dieu, son Créateur et son Sauveur ; et en parallèle, la main du Dieu fait homme saisissant celle de l’humanité afin de la faire sortir de son abîme dans laquelle elle s’enfonce. La main de Dieu et la main de l’homme se sont touchées : c’est peut-être cela, le véritable miracle de l’Evangile.

Je ne sais pas si vous avez déjà eu l’occasion de pénétrer dans la Chapelle Sixtine, mais vous ne pouvez pas ignorer cette fameuse fresque de Michel-Ange, qui se situe à la partie centrale du grand voûte de cet édifice mythique, mettant en scène la création d’Adam. On y voit Adam, le corps indolemment étendu, avec son bras gauche, semble inerte, tend vers la main droite de Dieu. Et en contraste avec la passivité et la nonchalance du geste d’Adam, on peut percevoir une certaine tension presque tangible dans le bras et la main de Dieu – il semble vouloir atteindre avec son index celui d’Adam. Ces deux mains ne se touchent pas, cependant, d’une façon indicible, le mystère du don de la vie s’est rendu visible par cette fascinante proximité. C’est ainsi que Dieu fait don de la vie : en nous donnant sa main.

La main, c’est par elle que nous sommes distingués des autres êtres vivant. Depuis la nuit des temps, l’homme admire ses propres mains dont les capacités semblent insondables et inépuisables. On trouve déjà innombrables mains peintes sur les parois des grottes de l’ère paléolithique. Et les mains divinement sculptées par Rodin pourraient jusqu’à nous plonger dans l’extase. Nous sommes fascinés par nos mains, puisqu’elles font partie de nos privilèges, puisqu’elle nous permettent d’agir autrement que les autres êtres animés ne peuvent.

Aristote écrit dans la Métaphysique : « Ce n’est pas, en effet la main, absolument parlant, qui est une partie de l’homme, mais la main capable d’accomplir son travail, donc la main animée ; inanimée, elle n’est une partie de l’homme » (1036 b 30-32). Et pourtant, si la main a pour nous une valeur unique, ce n’est pas seulement parce qu’elle nous permet d’agir, mais aussi parce qu’elle nous permet de nous exprimer. Il est si beau de voir les amoureux se tenir par la main. Un petit  enfant donne sa main à celui ou celle à qui il fait confiance. Une main qui se laisse docilement saisir par une autre ou elle s’en débarrasse avec empressement – ces gestes disent long de ce que nous avons sur le cœur. Si notre main ne peut plus agir comme nous le voulons, elle pourrait toujours, même silencieusement, lancer un cri, ou faire entendre un murmure – et alors, c’est notre cœur qui parait, notre foi qui se manifeste.

Sur la Croix, le Christ avait les mains liées, il ne pouvait plus rien faire, alors il s’adresse à son Père : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », et c’est ainsi que « tout est accompli ». À l’ouverture de Souliers de satin, Paul Claudel a mis en scène un père Jésuite, attaché sur un tronçon du grand mât d’un bateau et jeté dans la mer – il a compris qu’à présent, il est véritablement attaché à la Croix du Christ, la Croix de la Passion – d’une façon qui ne pourrait être plus serrée – et cette Croix n’est plus attachée à rien, alors il dit : « Seigneur, merci de m’avoir ainsi attaché ». Quelle profession de foi !

À nos jours, nous ne pouvons imaginer que nous ne soyons plus maîtres de nous-mêmes. Nous sommes censés être constamment disponibles, mobiles, motivés, prêts à agir, à contrôler, à entreprendre. Mais si notre volonté devient impuissante, et nos actions stériles, si nous sommes désarmés devant une situation qui nous dépasse, c’est peut-être parce que nous sommes éloignés de la source même de notre vie. Il est peut-être temps de nous arrêter et nous tourner vers le Ciel, vers Celui qui se penche constamment vers nous avec amour et attention.

Toujours à Rome, dans le catacombes saint Calix, je me souviens d’un dessin mural – un homme habillé en sacerdoce, les yeux et les main levés vers le Ciel – il est en prière ; je me dis : cette image est aussi un symbole de la foi. Le Christ dit à la femme qui a osé toucher son vêtement – ma fille, ta foi t’a sauvée, va en paix. Qu’il nous donne la même foi, la même audace, et que nos mains aussi puissent tendre vers Lui, avec la même insistance, et avec nos cœurs, amen.

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