Dans un des poèmes que l’on trouve dans la 5e
méditation sur la Mort, François Cheng a écrit ces vers : « Ne laisse en ce lieu, passant, ni les
trésors de ton corps, ni les dons de ton esprit, mais (seulement) quelques traces de
pas ». Le poète semble vouloir dire que le seul héritage que nous
puissions, ou bien, que nous devrions laisser derrière nous, ces sont les quelques
traces de nos pas. C’est une parole qui nous invite à la vérité et à
l’humilité. Puisque, sommes-nous d’autres choses que ce que dessinent les
traces de nos pas que nous aurons laissé en passant par ce monde ?
En ce disant, j’ai devant mes yeux les premières images que j’ai gardées de
Pierre : c’était en été, il y a bien 8 ans, dans la chapelle des frères de
Sacré-Cœur à la rue Chatillon, Pierre venait assister à la Messe, célébrée chaque jour à midi moins le quart. Je le voyais arriver, je le voyais partir, en
faisant les pas lents et difficiles. « Qu’est-il a ce monsieur ? –
j’ai demandé à Marie-Paule – ah, si tu savais toutes les maladies qu’il a
connues et qu’il en souffre », m’a répondu-t-elle. C’est ainsi que j’ai fait la
connaissance de Pierre. Plus tard, il me racontera les grandes aventures de sa
vie : durant la Guerre, ou en Pologne, encore derrière le Rideau de fer. Mais
dans mon cœur, rien ne peut remplacer ces premières images – et pour moi, en
faisant ces pas, il était plus vaillant, plus courageux que beaucoup d’aventuriers qui ont
arpenté le monde.
Dans l'évangile selon saint Jean, le Seigneur ressuscité dit à Simon-Pierre :
« Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même
pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains,
et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne
voudrais pas aller ». Accomplir la vie
consiste parfois à accueillir certains inattendus. Tout peut être perdu, la
capacité de nos membres, la lucidité de nos pensée, nos sensibilités, nos
forces, notre mémoire… Mais, aurions-nous toujours la volonté de persister, de
poursuivre notre chemin avec les moyens qui nous restent ? Pierre a bien
connu le déclin de la vie, mais petit à petit, il a appris à se découvrir dans
une phase nouvelle de sa vie, qui ressemble à une nouvelle enfance.
Qu’est-ce
qu’un enfant ? Sinon un simple mendiant d’amour. Dieu a été Lui-même un
mendiant d’amour, en prenant notre chair, en se faisant petit, en se révélant
par son visage d’enfant. En acceptant la perte de ses forces et ses capacités
physiques, Pierre a pu connaître ce que Dieu a expérimenté durant l’enfance de
Jésus : et il a pu comprendre que tout peut devenir grâce, et tout est, en
effet, grâce, si notre cœur s’ouvre à la grâce, et ce sera l’ultime expression
de notre amour.
« Où
vais-je ? » C’est une des dernières questions que Pierre a posé à
Bernadette. Oui, où va-t-il ? Où est-il aujourd’hui ?
Mais, savez-vous, chaque fois lorsque nous levons notre regard vers là nous où sommes appelés, le sol sous nos
pieds se transforme en Terre Promise.
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