« Reste avec nous, car le soir approche et déjà le
jour baisse ». C’est toujours avec une affectueuse émotion que je relis ce
passage de l’Évangile selon saint Luc, puisqu’il me fait penser spontanément à
« Mane nobiscum Domine »,
la dernière Lettre Apostolique du Pape saint Jean-Paul II, avec laquelle il a
inauguré en octobre 2004 l’année de l’Eucharistie. Dans ce très beau texte, le
Pape rapporte l’expérience pascale des disciples d’Emmaüs à la présence réelle du
Christ ressuscité dans le Sacrement de l’autel : « Entre les ombres du jour déclinant et l'obscurité qui envahissait leur
esprit, écrit-il, ce Voyageur (inconnu) était un rayon de lumière qui ravivait
en eux l'espérance et qui ouvrait leurs cœurs au désir de la pleine lumière. « Reste
avec nous », supplièrent-ils. Et il accepta. D'ici peu, le visage de Jésus
aurait disparu, mais le Maître « demeurerait » sous le voile du « pain rompu »,
devant lequel leurs yeux s'étaient ouverts ».
En réponse à la demande des deux
disciples : « Reste avec nous », le Seigneur reposa les gestes
du Jeudi saint – les gestes de l’institution eucharistique. Le Message du
Christ semble clair : oui, je reste avec vous, et je serai « avec
vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20), mais désormais c’est
dans le sacrement de l’Eucharistie que je suis présent parmi vous, par la
fraction du Pain.
Cependant, le message du Christ ne se
limite pas au réalisme eucharistique : le Ressuscité demeure présent dans
l’Eucharistie, non pas comme un objet figé de l’adoration liturgique, mais
comme « la source d’eau vive », la source même de la vie de l’Église :
Ecclesia de Eucharistia – l’Église
vit de l’Eucharistie. En tant que baptisés, membres de l’Église visible et
active du Christ ressuscité, nous venons tous nous abreuver à cette source, et
en ce faisant, nous faisons « corps », et le corps vivant, sacré et véritable
du Christ ressuscité s’actualise par notre participation à l’Eucharistie ;
et en cela, se trouve le sens profond et authentique de la sainte Communion.
Vivre l’Eucharistie, c’est vivre la
Communion, c’est vivre l’Église en tant que Corps véritable du Christ
ressuscité. En s’appuyant sur l’œuvre du Cardinal Henri de Lubac, William
Cavanaugh, un théologien américain toujours très actif que notre ami Martin Steffens
cite abondamment, a écrit ceci : « L’Eucharistie et l’Église, toutes
deux comprises par le terme Communio,
sont ensemble l’actualisation contemporaine du corps historique, l’unique
événement historique de Jésus. Les chrétiens sont le Corps réel du Christ et l’Eucharistie le lieu où l’Église parvient
mystiquement à l’être ».
En effet, depuis l’âge apostolique
jusqu’à l’apparition du culte eucharistique au Moyen Âge, plusieurs siècles
durant, l’expression « corpus
verum » désignait la communauté chrétienne, c’est-à-dire l’Église du
Christ vivant. Lorsque l’Eucharistie – plus exactement, l’hostie consacrée –
devenue l’objet du culte suprême du peuple chrétien, l’on commençait à
attribuer à l’Église le titre du « corpus
mysticum », le Corps mystique du Christ. Et William Cavanaugh invite les
chrétiens d’aujourd’hui à revenir à la signification d’origine du « corpus verum » : l’Église est
le Corps réel du Christ vivant par la célébration de l’Eucharistie. En effet,
en célébrant le Mémorial de l’unique sacrifice de la Croix – en anglais :
remember – le chrétien « remembre » le Corps du Christ vivant par
l’offrande de lui-même dans son acte de communion.
Mais l’appel de Cavanaugh va bien au-delà
de la célébration eucharistique : partout dans la société, là où le
chrétien est présent, le Christ ressuscité est présent corporellement par celui
qui communie à son corps eucharistique. Dès lors, la présence du chrétien dans
la société ne serait jamais neutre ou personnelle, il serait toujours en
communion avec le Christ et avec les autres membres de ce même corps – avec tous
ceux qui communient au même Pain. Un chrétien n’est chrétien qu’en tant que
membre du Corps unique, membre d’une communauté qui porte le nom de l’Église.
La pensée de Cavanaugh nous invite à
réfléchir : nous vivons dans une société très méfiante, voire hostile
envers tous ceux qui ressemblent au communautarisme, cette pensée peut même interprétée
comme une menace au certain principe de notre société. Cependant, en étant
discrets, nous sommes de moins en moins représentés, nous sommes en train de
disparaître sur bien des scènes de la société. On s’étonne d’entendre les
chrétiens prononcer sur tel ou tel sujet, et très souvent, on nous ignore.
Et enfin, qu’est-ce que le Christ
attend de nous ? Nous demandons : Reste avec nous Seigneur, puisque
le jour décline, puisque le temps devient hostile, puisque nous sommes isolés,
marginalisés… mais sommes-nous toujours avec le Seigneur, sommes-nous avec Lui
toujours et partout ? sommes-nous toujours en Communion avec Lui et avec
nos frères, les membres du même Corps sacré ? Ou bien pour nous, la
Communion n’est que ce petit moment de recueillement à chaque Messe, une fois
par semaine ?
Faire corps, être membres d’un même
corps, vivre la Communion, si cela n’est pas une réalité concrète, visible et
radicale, il ne donnera que du vent.
Réfléchissons mes amis,
réfléchissons, discernons, et agissons.
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