Si aujourd’hui, comme chaque année, nous nous sommes
réunis religieusement dans ce lieu de culte, c’est pour célébrer la mémoire
d’une figure, une figure certes lointaine, mais à laquelle nous nous sentons encore
attachés et nous savons qu’elle dit quelque chose de ce que nous sommes.
Les pères maristes, en fondant cet établissement ont
choisi saint Pierre Chanel comme patron-protecteur. Vous qui êtes héritiers de
cette belle œuvre éducative, vous savez sans doute que ce patronage est au cœur
de cet héritage qui vous est transmis. Le temps passe, des générations se
succèdent, et cet établissement a beaucoup grandi dans bien des égards et son
visage change tout comme le paysage qui l’entoure. Cependant, le nom de saint
Pierre Chanel y est toujours inscrit, et ce patronage nous rappelle qu’il y a
une dimension immatérielle de cette œuvre qui déborde ces murs et nous lie à
une réalité invisible, que nous pouvons nommer « l’esprit ».
L’œuvre que vous avez héritée est chargée d’un esprit.
Mais d’abord qu’est-ce que « l’esprit » ? « L’esprit est, le définit ainsi notre ami
Paul Valéry, une puissance de prêter à
une circonstance actuelle les ressources du passé et les énergies du devenir ». Nous pouvons dire que l’esprit est cette
force qui nous permet de vivre positivement le temps présent ; mais cette
force nous ne pouvons l’avoir qu’à condition que nous demeurions liés au passé
comme nous devons nous ouvrir à l’avenir.
Cependant, plus ou moins orientés par l’air du temps,
nous ne sommes pas toujours bien à l’aise avec ceux qui sont du passé. Nous préférons
parfois, voire souvent la rupture à la continuité, car nous nous méfions de
tout ce que nous n’avons pas choisi par nous-mêmes ; nous nous croyons
plus libres lorsque nous sommes détachés de toutes déterminations ; nous
sommes séduits par tous ceux qui sont éventuellement possibles, et nous
ignorons inconsciemment tous ceux qui ne cherchent pas à nous séduire.
Mais l’esprit véritable ne chercherait jamais à séduire,
puisqu’il n’a pas d’apparence, il est à découvrir ; et c’est nous qui
devons le chercher.
Et alors, qu’est-ce que l’esprit de cette fondation des
pères maristes dont vous êtes héritiers ? Il est l’histoire d’un homme, l’histoire
d’une vie, encore jeune mais généreusement offerte, sacrifiée à cause d’une
foi, à cause d’un amour passionné, total et inconditionnel pour l’absolu.
Pour nous qui vivons dans un monde où tout se vaut, tout
est relatif et discutable, tout est personnel et conditionnel, une telle
histoire peut nous paraître troublante. Aujourd’hui, y-t-il encore quelque
chose pour lequel nous voudrions donner jusqu’à notre propre vie ? Y-a-t-il
encore quelque chose qui est digne d’une telle foi sans réserve ? Y-a-t-il
encore quelque chose que nous puissions considérer comme absolu ? Nous
pouvons nous interroger ainsi indéfiniment, mais nous ne pouvons cependant pas ignorer
ou nier la saisissante beauté et l’incomparable noblesse dégagée par un tel
sacrifice, une telle générosité.
Nous ne sommes que ce que nous faisons de nous-mêmes, et
c’est en se donnant qu’une vie se réalise et s’accomplisse.
Mes amis, vous êtes héritiers de cet esprit, l’esprit de
saint Pierre Chanel, l’esprit d’un messager, d’un martyr, l’esprit du don de
soi, l’esprit qui exige une foi dans l’absolu ; et vous êtes appelés à
transmettre cet héritage à la jeune génération qui vous est confiée.
Mais avant ce, il faudrait peut-être le faire vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire