Abbe J-S

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samedi 4 mars 2017

Premier Dimanche de Carême - Année A, 5 mars 2017

Aujourd’hui, le premier dimanche de Carême, l’Eglise nous invite à écouter le passage de l’Évangile où le Christ Notre-Seigneur est tenté par le Diable.
« En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit, pour être tenté par le Diable ». « Pourquoi s’est-il rendu accessible à la tentation ? – demande saint Augustin, et il poursuit en disant – pour nous aider comme médiateur à triompher des tentations, non seulement par la puissance de son secours, mais encore par l’efficacité de son exemple ». Jésus nous montre « son exemple », c’est-à-dire que le Seigneur estime que nous pouvons l’imiter, nous pouvons suivre son modèle, nous pouvons même agir comme lui, et cela suppose que nous en sommes capable.
Affamés, épuisés, nous sommes capables de refuser le pain qui peut nous empoisonner, en nous disant que « l’homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu
 » ; menacés, mis en péril, nous sommes capables de tenir bon et rester confiant, sans faire de chantage avec le Seigneur, puisque nous ne mettrons pas Dieu « à l’épreuve » ; Et devant les artifices de toutes sortes de séductions, nous sommes encore capables de tourner le dos au tentateur, puisque nous n’adorons que Dieu seul, et que nul autre ne pourra nous mettre à genoux.
Oui, nous en sommes capables. Mais pourquoi le Christ est aussi certain de notre capacité ? Puisqu’Il sait que nous sommes créés à son image et selon sa ressemblance. Comme Lui, nous pouvons discerner, nous pouvons choisir, nous pouvons décider, et personne d’autre ne pourra le faire à notre place : puisque nous sommes créés libres, à l’image de Dieu qui est souverainement libre.
Puisque nous sommes libres, nous pouvons donc choisir librement le bien, la vérité, l’amour, au lieu de nous incliner devant la richesse, le prestige, la fascination. Aucune idole ne peut se diviniser et se glorifier devant nous, à moins que nous rejetions nous-mêmes notre liberté et choisissions l’idolâtrie.
Mais certains pensent que l’homme ne mérite pas la liberté. Je pense à l’immense chef d’œuvre de Dostoïevski, Les frères Karamazov, le fameux discours du grand inquisiteur qui accusait Jésus, revenu discrètement dans le monde, en lui disant : « Tu veux aller dans le monde et Tu y vas les mains vides, en prêchant aux hommes une liberté à laquelle, dans leur simplicité, dans leur anarchie originelles, ils ne peuvent même pas donner un sens, une liberté dont ils ont peur, qui les effraiecar rien, jamais, ni pour la société humaine, ni pour l'homme n'a été plus insupportable que la liberté ! Vois-Tu ces pierres dans ce désert brûlant et nu ? Change-les en pains, et l'humanité se précipitera derrière Toi comme un troupeau, reconnaissant, obéissant, même s'il tremble éternellement que Tu retires Ta main, et que Tes pains viennent à disparaître. Mais Tu n'as pas voulu priver l'homme de liberté, et Tu as rejeté cette proposition, car quelle liberté est-ce donc, as-Tu pensé, lorsque l'obéissance est achetée au prix du pain ? Tu as répondu que l'homme ne vit pas que de pain, mais sais-Tu bien que c'est au nom de ce même pain terrestre que l'esprit de la terre se lèvera contre Toi, et ira Te combattre, et Te vaincra, et que tous le suivront, [...] Sais-Tu que les siècles passeront et que l'humanité proclamera par la voix de sa sagesse et de sa science que le crime n'existe pas, et que le péché n'existe pas non plus, qu'il n'existe que des affamés ». 
Oui, selon le grand inquisiteur, le péché n’existe pas, il n’est point de pécheur, il n’existe que des affamés, il n’existe que des problèmes matériels, sociaux-économiques, il suffit que les gens soient comblés, soient satisfaits, alors que tous iront bien.
Ce genre de discours ne nous est pas étranger, nous le lisons dans les journaux, nous les entendons dans la bouche des notables qui parlent sur les plateaux de télévision et qui prétendent avoir une solution pour chacun de nos problèmes. Mais tous ceux qui se déguisent et se positionnent en homme providentiel ont un cœur saturé de mépris.
Les grands inquisiteurs n’ont jamais été absent de l’histoire, et ils sont très présents aujourd’hui dans nos actualités. Il y a deux siècles, Napoléon 1er osait dire déjà : « [...] les hommes ne naissent pas pour être libres. La liberté n'est un besoin que pour une catégorie peu importante de la population ». Et 10 ans après la Guerre, en 1956, Albert Camus s’alarmait en annonçant que dans un monde menacé de désintégration, « nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort ».

Oui, les grands inquisiteurs veulent plus que jamais instaurer leur règne. Mais la mort ne règnera jamais, et aucun esclavage ne peut s’imposer à nous, si nous sommes conscients de notre liberté et si nous y tenons. Le temps de Carême nous est donné pour que nous cultivions notre liberté, en repérant et en nous éloignant de tous ceux qui nous rabaissent, de tous ceux qui nous chosifient, de tous ceux qui veulent interposer entre Dieu et nous – puisque tous ceux qui nous séparent de Dieu nous rendent esclaves, et c’est notre foi qui alimente et édifie notre liberté. Soyons libres, soyons libres comme le Christ l’est devant le tentateur, et avec le Christ nous triompherons.

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