Abbe J-S

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lundi 30 mai 2016

Homélie de la Fête-Dieu 2016

A la fin de l'évangile selon saint Matthieu, le Seigneur ressuscité dit à ses Apôtres : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde ». (Mt 28,20) Le grand mystère de la foi que nous fêtons aujourd’hui : le fête du très Saint Sacrement, appelée aussi la Fête-Dieu, est la réalisation même de cette promesse de Notre-Seigneur.
Le Seigneur ressuscité est avec nous tous les jours, sa présence fidèle et constante parmi nous est une réalité concrète et vivante. Seule la foi catholique ose affirmer une telle proximité entre Dieu et les hommes, puisque le Dieu des chrétiens est le Dieu qui se donne aux hommes. Notre Dieu se donne pour nous comme victime sur l'autel de la Croix, notre Dieu se donne à nous en nourriture et breuvage, notre Dieu se donne à nous afin que nous soyons habités par Lui : Il fait sa demeure en nous.
C'est parce que notre Dieu se révèle dans un don totale et irréversible de Lui-même, que nous pouvons affirmer comme l'évangéliste saint Jean en disant avec certitude que : « Dieu est Amour » (1Jn 4,16).
Dieu se donne à nous dans son Amour infini et ce faisant, Il nous invite à l'imiter dans le don de nous-mêmes. C'est cette Parole du Seigneur que nous avons entendu aujourd’hui dans l'évangile : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9,16). A cet instant, le Seigneur savait très bien que la foule devant Lui était épuisée et affamée, mais qu'il était Lui-même dépourvus de provisions, cependant Il demanda ses disciples de prendre soin de leurs frères, et s'ils n'avaient rien, alors qu'ils se donnassent eux-mêmes à la foule pour la nourrir.
Que pouvaient-ils faire ses pauvres disciples en recevant un tel ordre ? Mais plus tard, ils comprendront lorsque le Seigneur leur dira : « Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui » (Jn 6,55-56).
Le Seigneur se donne Lui-même à nous pour nous nourrir, Il se donne à nous dans sa chair, dans son sang – non seulement sur la Croix, là où son Corps a été livré et son sang versé – mais aussi dans la très sainte Eucharistie, dans laquelle le sacrifice de la Croix se renouvelle à chaque jour et s'actualise jusqu'à la fin des temps.
Accueillir le Seigneur dans son Corps eucharistique, c'est participer au don du Christ sur la Croix, c'est devenir par Lui, avec Lui et en Lui l'unique offrande de l'amour pour toute l'humanité et pour toute l'éternité. Puisque en accueillant en nous le Christ dans la très sainte Eucharistie, nous devenons une partie vivante de Lui-même, nous devenons membres du Corps du Christ.
Nous sommes membres du Corps du Christ : c'est pourquoi tout baptisé a sa part à la table eucharistique, c'est pourquoi tout baptisé est convié et attendu à la table eucharistique chaque fois lorsque la sainte Messe est célébrée. Le Christ offre son Corps et sa Personne à tous les hommes dans son Eucharistie, et nous pouvons nous aussi offrir nous-mêmes à tous nos frères en prenant part de ce repas sacré, en devenant membres de son Corps vivant.
Élise, dans quelques instants, tu seras baptisée, tu seras appelée enfant de Dieu et la petite sœur de Jésus-Christ Notre-Seigneur, et avec tous les baptisés qui se réunissent aujourd’hui pour cette grande fête, tu vas recevoir le Corps du Christ qui s'offre à toi et tu deviendra réellement membre de son Corps. Et bientôt, comme les grands qui sont à côté de toi, tu vas te préparer pour recevoir l'Esprit-Saint, l'Esprit qui va t'édifier, te faire grandir et te transformer à chaque jour en un élan d'amour dans le cœur de Dieu.

Élise, n'oublie jamais de ce tu vis aujourd’hui, tu as cette chance de pouvoir te souvenir plus tard de ton propre baptême – je sais ce que je dis, puisque moi aussi j'ai été baptisé grand. Sois toujours fidèle à la grâce que tu as reçu aujourd’hui, sois fière d'être enfant de Dieu dans le Christ Notre-Seigneur, et Lui aussi, Il sera fier de toi.  
[L'autre conclusion : Le deuxième concile du Vatican nous enseigne que l'Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne. Source, parce qu'à cette vie présente, c'est dans la très sainte Eucharistie que nous pouvons puiser l'amour infini et vivifiant de Dieu, qui nous nourrit, et qui fait de nous les membres d'un même Corps, les enfants d'un même Père ; sommet, parce que l'Eucharistie nous fait toucher la réalité la plus profonde de Dieu : notre Dieu nous est proche, Il se laisse saisir, Il se donne.
Frères et sœurs, si nous savions vraiment le don de Dieu, nous saurons qui nous attend chaque dimanche à la sainte Messe. Ne laissons pas l'amour de Dieu sans réponse, et osons annoncer haut et fort cet amour à ce monde qui s'éloigne de Lui.]

Homélie pour la Solennité de la Pentecôte (15 mai 2016)


« Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Et tous furent remplis d'Esprit-Saint ». L'Esprit-Saint descendu du Ciel sur chacun des Apôtres sous forme de feu. Ce passage peut nous faire penser à cette parole du Christ rapportée dans l'évangile de saint Luc : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49) Ici, le verbe « balein » veut plutôt dire « jeter » qu'« apporter ». Le Christ est venu dans le monde pour « jeter » un feu sur la terre, mais ce feu ne pouvait pas encore être allumé – il faut d'abord que tout soit accompli (Jn 19,30) : il faut que le Fils fût élevé sur la Croix comme le serpent de bronze élevé par Moïse (Jn 3,14) ; il faut qu'il fût livré, tué, enseveli, et que le troisième qu'il ressuscitât (Lc 24,46) ; et encore, il faut qu'il partît, qu'il montât vers Dieu, vers son Père (Jn 20,17), c'est alors que le feu de l'Esprit-Saint peut venir dans le monde et s'allumer partout sur la terre. « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille, dit le Seigneur, car, si je ne m’en vais pas, (l'Esprit-Saint) le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16,7). La venue de l'Esprit-Saint, la diffusion de ce feu divin, est donc le fruit des mystères pascales, c'est-à-dire : le fruit de la Passion, de la mort, de la résurrection et de l'Ascension du Christ, elle est l'accomplissement de Pâques, l'accomplissement de toute la mission terrestre du Fils.
Le Fils de Dieu est venu dans le monde pour nous apporter un feu. Quel est donc ce feu ?
Nous savons que dans la mythologie grecque, il y ait aussi quelqu'un qui a apporté le feu au monde – un Titan, nommé Prométhée, a dérobé le feu sacré de l'Olympe et l'a apporté à l'homme. Selon les poètes de jadis, grâce au feu volé par Prométhée, l'homme, ayant l'intelligence éclairée, obtint les secrets des arts, put désormais rivaliser avec les dieux.
Le feu de Prométhée a pu donc faire sortir l'homme de l'obscurité de l'ignorance. L'homme libéré et illuminé, réclame aux divins son indépendance. Karl Marx voit en ce Prométhée cette « haine des dieux », et le nomme « le tueur des dieux ».
Est-ce que Jésus-Christ est le Prométhée des chrétiens ? Mais le feu de l'Esprit-Saint que le Christ a fait descendre du Ciel n'est pas volé de Dieu, il est donné par Dieu, il est le don de Dieu. Plus exactement, si sur la Croix, le Christ a fait de sa vie un don suprême à toute l'humanité, le feu de l'Esprit-Saint est le don du Père qui vient confirmer et achever le don de son Fils qui est la révélation même de son amour. Oui, la mort du Christ sur la Croix est l'expression la plus parfaite de l'amour de Dieu irréversible et sans limite ; et par sa résurrection, Dieu, avec sa puissance de Créateur fait jaillir de l'abîme de la mort la lumière de la vie invincible ; et enfin, l'Esprit-Saint souffle dans le monde, il diffuse dans le cœurs de tous ses enfants dispersés la chaleur délicate de la tendresse du Père.
Et bien sûr, le feu de l'Esprit-Saint consume : il consume en nous tous ceux qui nous séparent de Dieu, tous ceux qui nous aliènent, enlaidissent, alourdissent – il consume le péché, et en le consumant, il nous purifie, il nous édifie, il nous élève.
Frères et sœurs, ouvrons nos cœurs au souffle de l'Esprit-Saint – si le don de l'Esprit n'est pas accueilli en nous, le don du Christ ne pourrait pas donner son fruit. Puisque, si le Fils s'est donné à nous, c'est pour que, à notre tour, nous devenions des fils et des filles d'un même Père, mais c'est l'Esprit-Saint qui nous fait connaître qui est le Père, c'est l'Esprit-Saint qui, dans nos cœur, crie vers Dieu : « Abba, Père ». Oui, nous sommes des enfants de Dieu, et que le monde entende le cri de nos cœurs.



samedi 7 mai 2016

Homélie lors des obsèques de Lucile, une petite filles de 17 mois (7 mai 2016)

Lorsque j'ai reçu la sollicitation d'officier ce matin pour les obsèques de Lucile, il m'est venu ces quelques vers du Mystère des saints Innocents de Charles Péguy :
« ce que mon Fils a dit une fois, sinite parvulos venire ad me – laissez les petits venir à moi – je le redis, on me le fait redire toutes les fois (quel engagement !)
« Et mon Fils l’avait dit de quelques enfants qui jouaient et qui, aussitôt bénis, le quittèrent pour retourner jouer.
« Mais moi je le dis, on me le fait dire à chaque enfant qui ne retournera plus jouer, sinon dans mon paradis.
« Or cela (quel engagement !) je le redis à cet office des morts, à qui tout vient aboutir, auquel tout s’achemine ».
Dans ces mots que le poète a mis dans la bouche de Dieu le Père, nous pouvons entendre un ton de regret, une certaine amertume ineffable : il semble que c'est avec grande peine que Dieu appelle à Lui toutes les petites âmes innocentes et ailées. N'avait-Il vraiment pas d'autres choix que de nous imposer une telle séparation ? Mais Il ne s'explique pas. La douleur n'a pas besoin d'explication. La mort n'a pas besoin d'explication. Expliquer la mort, c'est donner raison à la mort, mais la mort n'a jamais eu aucune raison.
Lucile, je ne peux pas oublié ton petit visage de que, durant quelques instants, j'ai pu fixer sans pouvoir prononcer un mot. C'était peu après ton départ, et j'ai toujours devant moi tes yeux fermés, et cette pâleur qui t'environne et semble dégager une petite lueur argentée mais délicate. Avec crainte, j'ai demandé la permission de toucher son front, et très doucement, j'y ai tracé un petit signe de croix. Ai-je laissé sur toi une bénédiction ? Mais, ne voudrais-je pas, moi, y rester et te contempler longuement, jusqu'à ce que ta beauté angélique clarifie mon regard, et que ton silence serein et exquis apaise et remplisse mon cœur ?
Lucile, ta maman vient de te dire : de ta façon, tu auras marqué beaucoup de gens. Elle a raison. Tu es cette petite lumière qui résistera toute nuit et toutes ténèbres. Comment puisse s'éteindre cette lumière ? Nous savons que si tu t'éloignes de nous, ce n'est pas pour nous quitter et disparaître, mais aujourd'hui les anges t'élèvent au-dessus de nous, et pour nous, tu te transformeras en une étoile. Et, par tes rayons paradisiaques, tu nous révélera le paysage qui se cache derrière les horizons de notre pauvre existence.

Jadis, lors des obsèques d'un tout petit, le prêtre disait toujours ce verset de psaume : « Beati immaculati in via, Heureux les sans tache dans la voie ». Lucile, détachée de toute souillure, tu nous dis ce qu'est l'innocence, et tu entres aujourd'hui dans un bonheur auquel nous n'avons pas d'accès, et dont nous n'avons aucune connaissance. Mais nous savons que tu nous regardes, et que tu veilleras sur nous, et que depuis la Maison de Dieu, tu nous enverra la fraîcheur du ciel, qui séchera nos larmes, et allumera notre espérance.