Abbe J-S

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vendredi 28 avril 2017

Homélie prononcée au Collège-Lycée Saint-Pierre-Chanel pour la fête patronale (28 avril 2017)

Si aujourd’hui, comme chaque année, nous nous sommes réunis religieusement dans ce lieu de culte, c’est pour célébrer la mémoire d’une figure, une figure certes lointaine, mais à laquelle nous nous sentons encore attachés et nous savons qu’elle dit quelque chose de ce que nous sommes.

Les pères maristes, en fondant cet établissement ont choisi saint Pierre Chanel comme patron-protecteur. Vous qui êtes héritiers de cette belle œuvre éducative, vous savez sans doute que ce patronage est au cœur de cet héritage qui vous est transmis. Le temps passe, des générations se succèdent, et cet établissement a beaucoup grandi dans bien des égards et son visage change tout comme le paysage qui l’entoure. Cependant, le nom de saint Pierre Chanel y est toujours inscrit, et ce patronage nous rappelle qu’il y a une dimension immatérielle de cette œuvre qui déborde ces murs et nous lie à une réalité invisible, que nous pouvons nommer « l’esprit ».

L’œuvre que vous avez héritée est chargée d’un esprit. Mais d’abord qu’est-ce que « l’esprit » ? « L’esprit est, le définit ainsi notre ami Paul Valéry, une puissance de prêter à une circonstance actuelle les ressources du passé et les énergies du devenir ».  Nous pouvons dire que l’esprit est cette force qui nous permet de vivre positivement le temps présent ; mais cette force nous ne pouvons l’avoir qu’à condition que nous demeurions liés au passé comme nous devons nous ouvrir à l’avenir.

Cependant, plus ou moins orientés par l’air du temps, nous ne sommes pas toujours bien à l’aise avec ceux qui sont du passé. Nous préférons parfois, voire souvent la rupture à la continuité, car nous nous méfions de tout ce que nous n’avons pas choisi par nous-mêmes ; nous nous croyons plus libres lorsque nous sommes détachés de toutes déterminations ; nous sommes séduits par tous ceux qui sont éventuellement possibles, et nous ignorons inconsciemment tous ceux qui ne cherchent pas à nous séduire.

Mais l’esprit véritable ne chercherait jamais à séduire, puisqu’il n’a pas d’apparence, il est à découvrir ; et c’est nous qui devons le chercher.

Et alors, qu’est-ce que l’esprit de cette fondation des pères maristes dont vous êtes héritiers ? Il est l’histoire d’un homme, l’histoire d’une vie, encore jeune mais généreusement offerte, sacrifiée à cause d’une foi, à cause d’un amour passionné, total et inconditionnel pour l’absolu.

Pour nous qui vivons dans un monde où tout se vaut, tout est relatif et discutable, tout est personnel et conditionnel, une telle histoire peut nous paraître troublante. Aujourd’hui, y-t-il encore quelque chose pour lequel nous voudrions donner jusqu’à notre propre vie ? Y-a-t-il encore quelque chose qui est digne d’une telle foi sans réserve ? Y-a-t-il encore quelque chose que nous puissions considérer comme absolu ? Nous pouvons nous interroger ainsi indéfiniment, mais nous ne pouvons cependant pas ignorer ou nier la saisissante beauté et l’incomparable noblesse dégagée par un tel sacrifice, une telle générosité.

Nous ne sommes que ce que nous faisons de nous-mêmes, et c’est en se donnant qu’une vie se réalise et s’accomplisse.

Mes amis, vous êtes héritiers de cet esprit, l’esprit de saint Pierre Chanel, l’esprit d’un messager, d’un martyr, l’esprit du don de soi, l’esprit qui exige une foi dans l’absolu ; et vous êtes appelés à transmettre cet héritage à la jeune génération qui vous est confiée.


Mais avant ce, il faudrait peut-être le faire vôtre.

dimanche 16 avril 2017

Matin de Pâques - Lecture d'un poème d'Edith Stein

Matin de Pâques


« Obscure est la nuit du tombeau,
et pourtant l’éclat des plaies sacrées
traverse l’épaisseur de la pierre,
la soulève et la met de côté comme une plume ;
de l’obscurité du tombeau se lève
le corps ressuscité du Fils de l’Homme,
éblouissant de lumière, rayonnant de clarté. »

Ainsi commence le poème de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Édith Stein), composé en 1924, deux ans après son baptême, intitulé « Matin de Pâques ». Elle semble vouloir combler, par son imagination lyrique, une scène qui échappe aux plumes des évangélistes : la scène de la résurrection. Le Ressuscité se lève, aussi splendide que lorsqu’il était sur le mont Thabor, transfiguré devant ses disciples, et par cet éclat dégagé des marques de la Croix, il déplace la gigantesque pierre qui séparait le monde des morts du monde des vivants. La mort est vaincue, le Vainqueur sort de son tombeau. Et la jeune convertie poursuit sa vision rêveuse :

« Le Sauveur s’avance en silence
de la terre qui s’éveille à peine.
Sous ses pas divins
s’épanouissent des fleurs lumineuses que nul n’a jamais vues –
et partout où son vêtement effleure le sol,
la terre se met à briller d’un éclat d’émeraude. »

Étonnante cette discrétion du Vainqueur inouï, qui, sous ce silence délicat de l’aurore printanière, a changé le cours de notre histoire, sans que personne ne soit réveillée par son éclatant relèvement. Il s’avance. Il semble préférer prolonger la solitude qu’il a endurée sur le chemin de douleur. Mais il n’y a plus de cris, de hurlements, de railleries, de coups… Chacun de ses pas secrets opère un généreux apaisement qui prodigue autour de lui, grâce et bénédiction.

« La bénédiction coule de ses mains sur les champs et les prés
elle jaillit abondante et limpide –
et dans la rosée matinale de la plénitude de grâce
la nature rayonne de joie et ovationne le Ressuscité
pendant qu’il s’avance en silence (...) »  

Mais, vers où se dirigent ses pas ? Que cherche-t-il ? Où est-il aujourd’hui ? Est-il encore sur son chemin ? Oui, il est encore en chemin, il marche sur notre chemin, discrètement à notre côté, en quête de rencontre. Enfant, il dormait dans une mangeoire ; ayant grandi, il n’avait pas une pierre pour reposer sa tête (Mt 8, 20) ; aujourd’hui, il cherche toujours une demeure, il cherche sa demeure en nous. Un jour, sur l’île Patmos, il dira à son disciple bien aimé : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20). 


Oui, il est à notre porte, la porte de notre cœur. « Seigneur, quel est votre repos, si ce n’est dans mon cœur ? » (Paul Claudel)