Depuis
cette nuit, la France n’est plus la même ; depuis cette nuit,
le monde n’est plus le même ; depuis cette nuit, notre vie
n’est plus la même.
Depuis
cette nuit : cette nuit tachée de sueurs et de sangs, cette
nuit saturée de peur, de cris, de hurlements, cette nuit portant le
visage de la barbarie, et depuis, tout n’est plus le même. Rien ne
demeure le même.
Et
cette nuit que nulle aube ne peut effacer, que nulle lumière ne peut
dissiper, que nulle force ne peut ébranler, elle se prolonge, elle
se prolonge dans notre peur, elle voile notre vue, elle enveloppe
notre cœur.
Et
nous le savions. Nous le savions depuis si longtemps. Nous le savions
depuis le matin du 7 janvier dernier. Une année s’ouvrant dans le
sang, elle s’achèvera sous la pesanteur de la mort.
Nous
ne parlons plus de sécurité. Il n’y a plus de sécurité. Nous
sommes en guerre. La France est en guerre. Puisque quelqu’un nous a
déclaré la guerre.
Monsieur
le président de la république nous dit que : nous savions d’où
venaient ces attaques, nous savions qui étaient ces terroristes.
Mais qui sont ils ? Que savons-nous ? Savons-nous leur
visage ? Oui, puisque leur visage est le même que le nôtre.
Savons-nous où se trouvent leurs maisons ? Oui, puisque leurs
maisons sont à côté des nôtres. Ils sont là, ils sont parmi
nous, ils sont nos voisins d'un même quartier, nous les voyons le
matin en allant au travail, nous les croisons dans le train, dans le
métro, dans les supermarchés.
Et
nous savons même le nom qu’ils portent : ils s’appellent
« homme ».
Ceux
sont des hommes. Et comme elle est terrifiante cette réalité :
« L'homme est un loup pour l'homme – Homo
homini lupus »,
selon la fameuse formule de Plaute.
Mais
comment se fait-il ? Que se passe-t-il ? Il m’est revenue
cette horrible sentence de Louis Veuillot : « Lorsque
l’insolence de l’homme a obstinément rejeté Dieu, alors Dieu
dit : Eh bien, que ta volonté soit faite ! Et le dernier fléau est
lâché. Ce n’est pas la famine, ce n’est pas la peste, ce n’est
pas la mort, c’est l’homme. Quand l’homme est livré à
l’homme, alors on peut dire qu’il connaît la colère de Dieu. »
Mais,
est-ce vraiment l'absence de Dieu qui a fait disparaître l'humanité
de ces hommes ? Ces hommes-là, n'est-ce pas au nom de dieu
qu'ils tuent et qu'ils se tuent ? N'est-ce pas en criant le nom
de leur dieu qu'ils ont tiré sur les hommes et ont fait exploser leurs
propres chairs ?
Mais,
existe vraiment un dieu qui se réjouit du spectacle d'un tel
carnage ? Existe vraiment un dieu qui prend plaisir en
s'abreuvant au sang de ses créature ? Existe vraiment un dieu
qui veut la mort de l'homme au lieu de lui donner la vie ?
Existe vraiment ce dieu ?
Nous,
nous connaissons cependant notre Dieu, qui est doux et humble de
cœur, il se laisse conduire par ses bourreaux comme une brebis qui
se laisse conduire pour aller jusqu'à l’abattoir, et il a été
outragé, bafoué, martyrisé. Et bien plus, chaque fois lorsque l'on
outrage un homme, c'est toujours lui que l'on outrage ; lorsque
l'on bafoue un homme, c'est toujours lui que l'on bafoue ; et
lorsque l'on martyrise un homme, c'est encore lui que l'on martyrise.
À
cette nuit, à cette nuit meurtrière, à chaque balle tirée, les
épines de son couronne s'enfoncent dans son front, et il saigne, et
il pleure, il pleure avec nous, il pleure sur nous.
Mais,
espérons, espérons, et disons peut-être avec notre ami Charles Péguy :
« Les
armes de Jésus c'est la peine de l'homme, c'est le chemin qui mène
et qui ramène à Rome, c'est la main qui le frappe et poing qui
l'assomme. »
Seigneur,
que ta grâce vienne, que ce monde passe. Amen.